Physical Address

304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124

Les statues géantes de l’île de Pâques menacées par le changement climatique : « Il faut se rendre à l’évidence, on ne pourra pas toutes les protéger »

« Voilà mes moaïs ! » A grands pas, Vaihere Tuki Haoa s’approche d’un monticule de pierres volcaniques face à l’océan. Dans le sud-est de l’île de Pâques, deux géants endormis reposent au sol : torses bombés, visages impassibles et regards tout droit tournés vers le ciel. « Ils ont été sculptés par mes ancêtres, issus du clan Ngaruti. Ce site, c’est la mémoire vivante de ma famille ! », raconte avec émotion cette guide locale âgée de 43 ans.
Mais les deux colosses de l’Ahu (plate-forme cérémonielle) One Makihi n’ont vraiment pas le même profil. Le premier a le teint blond et le nez pointu, sa figure, son front et ses orbites sont parfaitement dessinés. Quant au second… charbonneux, lépreux, décrépi, les traits de son visage sont à peine discernables. Il ressemble de plus en plus à une grosse pierre. « Mon moaï est laissé à l’abandon. Il disparaît peu à peu », s’attriste Vaihere Tuki Haoa.
Pour la guide, aucun doute : l’Ahu One Makihi est loin d’être un cas à part. Sur l’île de Pâques (Rapa Nui, en langue polynésienne), les moaïs se détériorent à vue d’œil, à tel point que certains prédisent la transformation des majestueuses statues de pierre en sable d’ici à quelques dizaines d’années seulement. Une catastrophe économique et culturelle pour ce petit territoire chilien, à peine grand comme l’île d’Oléron, peuplé par 7 700 personnes.
A 3 500 kilomètres des côtes d’Amérique du Sud, l’accès à l’un des havres les plus isolés de la planète se mérite. Rapa Nui, avec ses prairies dénudées parcourues de chevaux libres, son chapelet de volcans éteints, ses falaises éboulées et noires comme de l’encre, se dévoile après cinq heures de survol ininterrompu du Pacifique depuis Santiago. Le minuscule rocher du bout du monde, perdu dans le grand bleu, royaume de tant de fantasmes et de mystères, conserve toute sa force d’envoûtement.
Pedro Edmunds Paoa, maire de la commune de Rapa Nui, en est bien conscient. A 63 ans (dont la moitié à cette fonction), l’édile aime raconter au visiteur de passage la longue histoire de sa petite île, à commencer par l’arrivée du mythique premier roi Hotu Matu’a, débarqué avec sa cour en canoé à double coque, et malgré des courants contraires, depuis les lointaines Marquises, il y a de cela 1 200 ou 800 ans… Une histoire qui, assure-t-il, fascinait au plus haut point l’ancien président français Jacques Chirac, féru d’arts premiers. « Il rêvait de visiter Rapa Nui ! », se souvient M. Paoa.
Mais, à propos des moaïs, le maire s’assombrit : l’île compte autour de mille de ces statues de pierre, redressées, affalées au sol ou semi-enterrées, dont les plus grandes peuvent mesurer 21 mètres et peser 270 tonnes. Mais ces géants ont des pieds d’argile : « Ils ont presque tous été fabriqués à partir de tuf issu du volcan Rano Raraku [dans le sud-est de l’île] », rappelle M. Paoa. Une pierre tendre, facile à travailler, mais friable et poreuse à l’extrême. « Ils subissent de plein fouet les atteintes du vent, de l’eau salée, de la pluie et du soleil. Les moaïs sont constamment menacés et se dégradent d’année en année », s’alarme le maire.
Il vous reste 74.92% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

en_USEnglish